Marvel NOW!: Avengers - Tome 1


Scénarisé par Jonathan Hickman

Cet article contient des spoilers.

Note: un "run" désigne, dans le monde des comics, tout le travail continu d'un scénariste sur une série régulière. Quand on parle du run de Jonathan Hickman sur Avengers, on fait référence aux numéros qu'il écrit depuis la reprise de la série. Jonathan Hickman réalise aussi un run sur New Avengers, à ne confondre avec celui qui est traité dans ces lignes.

Les éditions Marvel ont clairement fait du scénariste Jonathan Hickman leur chef d'orchestre. C'est à lui que sont confiés les événements majeurs récents de la firme, d'Infinity à Secret Wars. L'auteur a un plan sur le long terme, et pour le mener à bien, le voilà projeté à la tête des deux plus grandes séries du moment: Avengers d'un côté, et New Avengers de l'autre. Lorsqu'il a pris les rênes du Marvel-verse, Hickman a clairement annoncé savoir vers quoi il se dirigeait, un projet qu'il se voyait mener à bien à travers une soixantaine de numéros ! Panini Comics édite donc en France les épisodes initiaux d'Avengers, à travers ce premier tome renfermant les six premiers numéros, portés par Hickman bien sûr, mais aussi deux fabuleux dessinateurs. Jerome Opeña s'occupe des épisodes un à trois, accompagné du coloriste Dean White qui réalise ici un travail extraordinaire. C'est ensuite Adam Kubert qui donne vie aux épisodes quatre à six, accouchant de planches satisfaisantes, bien qu'assez éloignées de la magnificence des épisodes précédents. Mais tous participent à un début de saga qui se veut aussi épique que possible, une introduction orchestrée par Tony Stark (alias Iron Man) et Steve Rogers (Captain America).


Les deux hommes ont un objectif simple: l'expansion. Suite à la prolifération de menaces en tous genres, Stark pense qu'il faut voir plus grand. Les Avengers, le plus grand groupe de super-héros du monde, doit pouvoir affronter tous les dangers possibles et imaginables, qu'ils viennent de la Terre, de l'espace ou bien d'autres univers. Steve Rogers valide cette idée, il est peut-être temps d'agrandir le groupe au A majuscule. Les premières planches adoptent un ton solennel (les détracteurs du scénariste diront "pompeux"), renforcé par de grandes phrases sentencieuses et des illustrations descriptives très réussies. Hickman n'épargne pas le lecteur et décoche ses flèches à une vitesse ravageuse, noyant son hôte sous une cascade d'informations. En seulement une planche sont évoqués des personnages comme Hyperion, Smasher ou encore un nouvel ennemi du nom d'Ex Nihilo. Cette narration surchargée révèle l'ampleur démesurée de l'univers que va arpenter le lecteur. Mais avant d'en arriver là, il convient de détailler les bases de cette nouvelle saga. Tout commence alors que trois êtres mystérieux arrivent sur Mars: le fameux Ex Nihilo, un monolithe doré qui n'aspire qu'à créer la vie, Abyss, sa sœur ténébreuse et Aleph, un robot destructeur plutôt entêté. Ce trio atypique attaque la Terre à l'aide de projectiles d'un genre spécial, des bombes originelles qui s'écrasent aux quatre coins du globe, libérant d'étranges entités qui reprogramment le code génétique de leurs victimes. Les Avengers ne perdent pas l'once d'une minute et, sous la menace, prennent Mars d'assaut. Ce groupe initial rend hommage à l'adaptation cinématographique et se constitue de six membres, les six que l'on retrouve dans le film du même nom: il y a Captain America et Iron Man bien sûr, mais aussi Black Widow (la Veuve Noire en français), Hawkeye (Œil-de-Faucon), Bruce Banner (alias Hulk) et enfin Thor. Cette équipe connue des cinéphiles ne va pas tarder bien longtemps avant de s'étoffer de manière fulgurante.

Jonathan Hickman divise ce premier tome en deux parties bien distinctes. Les trois premiers numéros posent les bases de son run, tout en présentant la construction de l'équipe que le lecteur va être amené à suivre pendant toute la saga. Les trois numéros suivants, qui concluent ce volume, sont chacun consacrés individuellement à un personnage en particulier. Cette construction narrative permet au scénariste d'embarquer le lecteur à une vitesse prodigieuse. En effet, les trois premiers numéros dessinent un arc narratif dédié à Ex Nihilo et le danger qu'il représente. La menace est concrète, tout se joue dans l'urgence, le rythme est effréné. Les questions se bousculent dans l'esprit du lecteur, qui découvre à la fois de nouveaux personnages (ces ennemis), mais aussi plusieurs points scénaristiques qui ne seront développés que plus tard (certaines phrases mystérieuses et allusions qui viennent perturber le récit). Cependant, l'action prime dès le départ. Lors de la première joute entre le trio martien et les Avengers, qui intervient très tôt dans le récit, ces derniers subissent une défaite cuisante. Si une partie du groupe parvient à s'enfuir, l'autre reste prisonnière sur Mars, dont Hulk complètement subjugué par le pouvoir de la terrifiante Abyss. Hulk auquel le dessinateur Opeña confère d'ailleurs un design très simiesque, vibrant hommage au personnage inventé par Jack Kirby (le personnage ayant été très humanisé ces dernières années). Suite à cette première défaite, la narration éclatée dévoile que Tony Stark et Steve Rogers ont recruté une pléthore de possibles Avengers aux quatre coins du monde.


Il est alors temps pour l'auteur de dévoiler le casting de son grand-œuvre, à travers une phase de recrutement habilement construite autour d'ellipses bien intégrées au récit. Cette séquence joue sur l'humour, tout en présentant de manière concise le caractère des différentes recrues. La narration peut alors sembler froide, distante et uniquement descriptive. Les plans et scènes isolées s'enchaînent, le nombre de protagonistes présents frôle l'overdose, mais tout ceci retranscrit de manière admirable l'ampleur et l'ambition du projet de Jonathan Hickman. De manière moins explicite, ce recrutement souligne la motivation de Stark et Rogers, qui utilisent de féroces arguments pour convaincre leurs potentiels alliés. Le scénariste se paie le luxe de piocher dans l'abyssal catalogue de personnages Marvel pour constituer une équipe atypique et hétéroclite. Cerise sur le gâteau, Hickman convie l'une de ses créations, Manifold, apparu dans sa série précédente Secret Warriors. Se joignent à la fête des personnalités aussi diverses que Spider-Man ou Spider-Woman, le Faucon, Wolverine (recruté à coups de bières), Shang-Chi ou Captain Marvel. Malin, Hickman ne mettra jamais en avant les personnages stars de Marvel, comme Wolverine ou Spider-Man, ceux-ci possédant déjà plusieurs séries dédiées, et mettra en avant les rôles secondaires.

Ces personnages seront développés au cours des trois derniers chapitres du tome. Une fois que les enjeux ont été posés de manière fluide et rapide, l'auteur prend en effet le temps de consacrer des chapitres entiers à trois nouvelles recrues; Hyperion, Smasher et Captain Universe. De plus, même si ces numéros s'articulent clairement autour de ce trio de protagonistes, l'histoire globale évolue par à coups tandis que le lecteur en découvre davantage sur ces nouvelles têtes. Mais surtout, les coups de projecteurs posés sur ce trio ont une utilité scénaristique évidente: élargir davantage encore les limites de cette saga. Smasher permet d'amener le récit vers des élans cosmiques, tandis que la présence de Captain Universe accorde au titre une ampleur inconcevable, en faisant intervenir rien de moins que la Mère de l'univers. Enfin, l'aspect divin de l'univers Marvel est évoqué à travers Thor et sa confrontation avec Abyss. Il est clair que l'objectif premier de Jonathan Hickman, à travers ces premiers numéros, est de conférer à son nouveau jouet une amplitude encore jamais vue dans les sagas Marvel. L'auteur ne semble s'imposer aucune limite, que ce soit spatiale ou temporelle. En effet, Ex Nihilo et ses comparses iront jusqu'à évoquer les origines mêmes de l'univers. Enfin, l'auteur va articuler son récit autour de deux notions : la vie et la mort.


Ex Nihilo n'est en effet aucunement une menace comme les autres. Son but est de servir la vie. Il peut faire évoluer l'ADN déjà existant, mais aussi donner naissance, comme il le fera avec le personnage d'Adam. S'il représente la vie, son comparse Aleph n'existe que pour détruire. Cependant, la vie et la mort s'agitent aussi dans ce personnage, étant donné que c'est lui qui a justement donné naissance à Ex Nihilo et sa sœur Abyss. Le scénariste, à travers tous ces petits détails, n'oublie jamais que la vie et la mort sont les deux concepts qui régissent l'univers, et que tous deux se mêlent et s'entremêlent. Du côté des Avengers, Captain America représente clairement la vie (Hickman nous rappelle d'ailleurs ses origines, retrouvé dans un bloc de glace et ramené à la vie), tandis qu'Iron Man symbolise la mort (Tony Stark est un inventeur capable de créer les armes les plus impressionnantes, la première d'entre elles étant son armure). A noter que le colossal Ex Nihilo envoie des graines (source de vie) pour "améliorer" les humains, tandis qu'Aleph dispose du Jardin, capable de transformer un monde. Le Jardin évoque bien entendu le Jardin d'Éden, havre de paix et symbole de vie, tandis que le trio se trouve sur Mars, planète aride et dévastée, symbole de mort. Jonathan Hickman a pensé à tous les détails pour faire en sorte que vie et mort s'oppose perpétuellement.

Pour en revenir aux personnages secondaires que le scénariste va prendre le temps de présenter, il faut se concentrer tout d'abord sur Hyperion. Ce personnage a été inventé à l'époque comme une réponse au Superman de DC Comics, le concurrent direct de Marvel, bien que jamais il n'arriva à atteindre le quart de la célébrité de l'Homme D'acier. Un postulat clairement assumé par Hickman, qui dépeint une origine semblable à son personnage, rescapé d'une planète anéantie. La mise en page adopte beaucoup de panneaux verticaux, comme pour souligner un aspect "céleste" ou "divin" (Hyperion est d'ailleurs, dans ce chapitre, accompagné de Thor), voire la magnificence du personnage. A l'opposé, certaines scènes illustrant le passé du personnage sont toutes dessinées à l'horizontale, elles tassent alors l'action, l'écrasent. C'est très bien pensé, en plus de ne pas être immédiatement identifiable par le lecteur. Ce chapitre s'achève sur un Hyperion en proie au doute avec lui-même, alors qu'il découvre une nouvelle race d'être vivants. Il se retrouve confronté à la vie.


Le numéro suivant est dédié à Isabel Dare, alias Smasher, et s'ouvre sur un flashback. Celui-ci prend ses origines dans la saga des New X-Men écrite par Grant Morrison. Smasher va être la toute première humaine à rejoindre la Garde Impériale de l'Empire Shi'ar (l'un des trois plus grands empires galactiques de l'univers Marvel). Comme évoqué précédemment, la présence de ce personnage permet au scénariste d'amener sa saga vers des sommets cosmiques. Simple humaine fermière, perdue dans l'Iowa, Isabel se retrouve en quelques pages propulsée vers le monde de Chandilar. S'en suivront quelques scènes intimistes sur Terre, qui étofferont le personnage de Smasher, ainsi que des séquences cosmiques, saupoudrées d'action. D'ailleurs, lorsque Smasher cogne, elle cogne fort, ce qui se traduit par une onomatopée qui coule de source: un immense SMAAASH qui déchire la page. Le chapitre s'achève en divulguant de nouvelles informations au lecteur, à savoir la présence d'une menace intergalactique qui a poussé un peuple tout entier à fuir. A travers ce chapitre, Hickman rend hommage aux grandes sagas cosmiques de Marvel, comme Annihilation ou Les Gardiens de la Galaxie, tout en étendant de plus en plus sa propre épopée.

Le dernier chapitre de ce tome est dédié à Captain Universe. Ce personnage est l'incarnation de l'univers, qui s'approprie différents hôtes pour interagir avec le monde. En ce sens, ce personnage est sensé être froid et insaisissable, pourtant Hickman va tenter de le rendre sympathique, à travers son nouvel avatar, une jeune femme dénommée Tamara Devoux. C'est un personnage tout en contradiction, détenteur d'une puissance cosmique incommensurable, mais aussi aveuglé par son amour démesuré... des tartes. L'auteur dévoile peu à peu le passé du personnage humain qui accueille cette puissance, à travers des souvenirs qui se reconstruisent peu à peu. Se dessine alors un passé obscurci par la douleur et la mort. Tandis que l'univers est source de vie. La cohérence des thématiques abordées par Hickman se retrouve à nouveau à travers ce personnage. Il n'oublie pas non plus d'ancrer son récit dans l'univers Marvel actuel, en faisant intervenir le Spider-Man supérieur (pour plus d'informations, n'hésitez pas à consulter l'article dédié en ces pages, mais gare aux révélations). Ce tome se conclue sur l'apparition de Nightmask, un personnage lié au New Universe (un univers parallèle à celui qui accueille les aventures des Avengers). Cette révélation s'imbrique parfaitement dans le plan que met en place Jonathan Hickman depuis le début de son run.


Enfin, le récit est ponctué par certains dialogues retranscrits dans un alphabet extra-terrestre, le code des bâtisseurs. Une concordance entre notre alphabet et celui-ci est disponible en fin d'ouvrage, afin de pouvoir comprendre ce qu'énoncent les différentes créatures tout au long du récit. Il est intéressant de noter que cet alphabet est composé de symboles eux-mêmes constitués de cercles et de traits, une imagerie qui correspond aux symboles dont est parcouru le "costume" de Captain Universe. C'est plutôt bien pensé encore une fois.

Ce premier tome des Avengers à la sauce Hickman est clairement une introduction. Les pions se mettent en place, tandis que le scénariste élargit peu à peu son terrain de jeu, ainsi que ses ambitions. Les premières pages sont claires, les Avengers doivent embrasser l'expansion, s'étendre jusqu'aux confins de l'univers. Un univers qui s'incarne lui-même dans cette équipe, à travers un personnage paradoxal mais terriblement attachant. Ensuite, le scénariste offre une portée phénoménale à son intrigue, en incluant un aspect cosmique grandiloquent (il étend les limites spatiales de sa saga), et en évoquant l'aube des temps (il repousse les limites temporelles). Enfin, il assène un dernier coup en faisant allusion au multivers et ses mondes parallèles, révélant par là-même son ambition de tisser une fresque aux frontières infinies. Grandiloquente, c'est le terme qui convient peut-être le mieux à cette entrée en matière, tant les enjeux (qui ne sont pas encore complètement définis) sont encore hors de portée de la compréhension du lecteur. Mais ces enjeux ne seraient rien sans des personnages réussis, personnages que le scénariste prend le temps de décrire à travers trois chapitres qui retracent les origines des plus puissants d'entre eux.