[ DÉCOUVERTE ] I am a Hero - Tome 1

Information : les articles [ DÉCOUVERTE ] se concentrent sur les premiers tomes ou épisodes de livres ou séries. Ils ne contiennent en aucun cas d'analyse générale sur l'ensemble de l'œuvre, et servent davantage à partager le ressenti d'un premier contact entre le lecteur / spectateur et l'œuvre en question. S'il existe, sur Les Toiles Noires, deux types d'articles concernant une même œuvre (un article [ DÉCOUVERTE ] et un autre, global), les deux textes sont publiés sur la même page, dans un souci d'accessibilité et de confort de lecture.


Écrit et dessiné par Kengo Hanazawa

Cet article contient des spoilers, uniquement sur le premier tome de la série.

Il serait aisé de présenter I am a Hero comme le pendant nippon du célèbre comics américain The Walking Dead. Ce serait en partie vrai, tout en restant extrêmement réducteur. Cette série horrifique est le premier travail du mangaka Kengo Hanazawa à atterrir sur le sol français en 2012 (malgré un lancement japonais situé en 2009), qui a ainsi fait une entrée fracassante sur le marché national. L'auteur et les éditions Kana invitent le lecteur à partager le quotidien de Hideo Suzuki, un trentenaire mangaka qui peine à percer une bonne fois pour toutes dans ce milieu professionnel impitoyable, mais aussi et surtout, qui se révèle être un personnage principal atypique. Atypique car nous sommes bien loin d'un héros patriote et habitué à l'action comme le Rick Grimes qu'écrit Robert Kirkman dans son comics sur les marcheurs. Hideo en est l'antithèse la plus totale. Ce n'est pas un meneur, il est plutôt peureux et s'invente même des amis imaginaires pour combler son extrême solitude. Les premières planches du manga sont perturbantes, il est très difficile de cerner Hideo, qui par ses actes et ses monologues s'éloigne les clichés les plus répandus. Pourtant, à mesure que les pages se dévoilent, le lecteur s'attache un peu plus à ce jeune mangaka, tandis que Kengo Hanazawa s'échine à décrire son quotidien partagé entre le travail et sa petite amie Tekko.


C'est ici que se trouve la plus grande surprise et force de ce premier tome, à savoir la description de ce quotidien traversé par des personnages secondaires nombreux et rythmé par des sous-intrigues qui n'ont rien d'extraordinaire. Les planches racontent le parcours du combattant qu'effectue Hideo pour pouvoir vendre son projet de manga, tout en dévoilant les doutes du personnage envers sa petite amie, un peu plus délurée que lui, sans oublier de tisser le portrait de ses collègues et fréquentations. Bien sûr, le fil rouge principal se déploie malgré tout en arrière-plan, via des allusions un peu trop évidentes (journaux télévisés qui parlent de morsures, personnages qui évoquent directement des accidents), lesquelles mèneront à l'apparition du premier véritable zombie en toute fin de volume. Excepté les quelques pages finales, le livre prend des airs d'un récit tranche de vie qui n'est pas sans rappeler les travaux du talentueux Inio Asano. Le récit prend son temps, il révèle les couches successives de la psyché des deux protagonistes principaux avec un naturel foudroyant, invitant le lecteur à exhumer les rêves, craintes et buts de ce couple attachant. Kengo Hanazawa dévoile un monde crédible, enrichit par des lignes narratives complètes : il instaure une rivalité entre Hideo et Nakata (un très bon mangaka, accessoirement ex-petit ami de Tekko). Bientôt, les tourments du jeune auteur happent le spectateur qui, avec lui, vit de petits moments de bonheur qui épaississent considérablement cet univers-bulle. L'auteur réalise même un épisode flashback qui présente la rencontre entre les deux tourtereaux, étoffant une nouvelle fois le couple phare de ce tome.

Bien entendu, cette longue mise en place n'existe que pour une chose : pouvoir voler en éclats lors de la conclusion. Ainsi, si une scène introduit un zombie au détour d'une collision entre une voiture et une piétonne, le premier mort-vivant auquel sera directement confronté Hideo ne sera nulle autre que sa moitié, Tekko. Étalée sur les dix dernières pages du volume, l'apparition marquante a de quoi chambouler le lecteur. Profitant pleinement du grand format offert par l'utilisation consécutive de doubles-pages, l'auteur dessine avec un terrifiant réalisme le corps difforme de la jolie Tekko, dont les membres parcourus de veines apparentes adoptent des angles impossibles. Cet événement constitue un véritable choc (pour le personnage et le lecteur), étant donné que c'est la vie toute entière de Hideo qui se désintègre. Une nouvelle fois, l'opposition avec The Walking Dead est absolue. Si Kirkman place le lecteur directement dans un monde post-apocalyptique (piochant allègrement du côté de 28 jours plus tard, de Danny Boyle, 2002) Hanazawa présente au contraire un monde normal qui se décompose au fur et à mesure. Dans le comics américain, le monde pré-invasion est dépeint à travers une seule planche, au contraire d'un tome complet pour le manga. Et si Rick retrouve très rapidement ses proches, Hideo voit disparaître celle qu'il aime très rapidement. Chaque technique possède ses avantages et inconvénients, mais celle choisie par I am a Hero permet un attachement envers le personnage plus important, tout en provoquant un véritable choc lorsque tout bascule.


Le titre brille de plus par son ambiance particulière, étouffante et poisseuse, mise en avant par la représentation graphique des hallucinations de Hideo (ici un personnage encastré dans les stores d'une fenêtre, là un bonhomme coincé dans les toilettes). Aucune indication n'est donné sur ce qui est réel ou pas, tandis que les zombies adoptent un aspect dérangeant, comme une femme renversée par une automobile, qui se retrouve la tête penchée en arrière, dans une posture obscène et impossible. L'apparition finale d'une Tekko pourrissante achève de conférer au manga une identité visuelle marquante et forte. Le trait de Kengo Hanazawa rappelle des auteurs modernes et urbains comme Inio Asano (déjà cité, celui-ci possède un trait réaliste et détaillé, comme dans Bonne Nuit Punpun !, 2007) ou Shohei Manabe (Ushijima, l'usurier de l'ombre, 2004), ses décors sont crédibles et fouillés. Un réalisme qui participe à l'atmosphère oppressante du manga, tout en restant un régal pour les yeux. Les personnages ne sont pas en reste, les visages sont très diversifiés et expressifs, tandis que l'auteur parvient à retranscrire assez follement le mouvement de ceux-ci. Cette approche réaliste est, enfin, appuyée par les nombreux thèmes (souvent d'ordre sociaux) qu'aborde Hanazawa. Il y parle du monde de l'édition, de l'importance des journaux télévisés, du statut du mangaka mais aussi des relations sociales.

Grâce à son identité marquée et ses prises de risque cristallisées par ce protagoniste tout sauf consensuel ainsi que ce rythme trompeur, le manga de Kengo Hanazawa s'offre une introduction aux antipodes de ce que le lecteur était en droit d'attendre. Une atmosphère de paranoïa recouvre l'ensemble des chapitres tandis qu'une menace d'abord abstraite s'intercale progressivement dans la narration. Si le temps fort de ce premier tome reste sa funeste conclusion, celle-ci ne parvient pas à effacer la construction de ce petit monde que l'auteur construit au fil des planches, lesquelles sont tour à tour teintées d'humour, de mélancolie ou de tristesse. La mise en scène savamment étudiée propose une utilisation du média intéressante, Hanazawa se permettant de jouer avec les formats des cases, les angles de vue ou encore les effets de répétition. Les panoramas régulièrement utilisés sont sublimes et permettent de comprendre en un instant les limites spatiales des scènes dépeintes. Il y a clairement du Hiroya Oku (Gantz, 2000) dans les cadrages et le découpage qu'utilise Hanazawa, le manga revêtant parfois une parure cinématographique qui dynamise la lecture.


Convaincus, c'est avec plaisir que nous poursuivrons l'aventure.

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