[ DÉCOUVERTE ] Dragon Quest VII : La quête des vestiges du monde

Information : les articles [ DÉCOUVERTE ] se concentrent sur les premiers tomes ou épisodes de livres ou séries (ou, dans ce cas, les premières heures de jeu). Ils ne contiennent en aucun cas d'analyse générale sur l'ensemble de l'œuvre, et servent davantage à partager le ressenti d'un premier contact entre le lecteur / spectateur et l'œuvre en question. S'il existe, sur Les Toiles Noires, deux types d'articles concernant une même œuvre (un article [ DÉCOUVERTE ] et un autre, global), les deux textes sont publiés sur la même page, dans un souci d'accessibilité et de confort de lecture.


Développé par Heartbeat (2000 - PlayStation)
Développé par ArtePPiazza (2016 - Nintendo 3DS)
Édité par Enix (2000) et Square Enix (2016)

Les joueurs français étrangers aux plaisirs de l'import n'ont découvert Dragon Quest qu'en 2006, sur PlayStation 2, à travers la sortie du huitième épisode, Dragon Quest VIII : L'odyssée du roi maudit. Précédé d'une réputation plus que flatteuse, la saga brillait alors surtout grâce à la renommée d'un trio d'artistes indissociables de cet univers : Yūji Horii, le créateur et scénariste, Akira Toriyama au chara-design et monster-design, ainsi que Kōichi Sugiyama, compositeur attitré de la série. Le succès fût au rendez-vous, si bien que les opus Nintendo DS (des remakes des épisodes IV, V et VI, ainsi que le neuvième chapitre) furent à leur tour localisés sur le sol français. Manquaient à l'appel la trilogie initiale, le dixième chapitre, exclusivement jouable en ligne, et l'estimé septième épisode, entouré d'une aura quasi mystique, tant chaque joueur ayant eu la chance de s'y essayer ne partageait qu'éloges et compliments à l'encontre du jeu. C'est en 2016, soit seize années après la date de sortie originale du jeu sur PlayStation première du nom, que Dragon Quest VII : La quête des vestiges du monde foule pour la première fois le territoire français, sous la forme d'une remake sur Nintendo 3DS peaufiné et enchanteur.

Cet article découverte révèle des éléments essentiels sur l'intrigue du jeu et couvre, grosso-modo, les quinze premières heures de l'aventure (pour aider à situer la période couverte par l'article, celui-ci dévoile des éléments du scénario jusqu'à la fin de la quête de l'abbaye).

Le jeu tire son charme non pas de ses musiques enchanteresses ou de son système de combat complet, mais plutôt de sa narration. Cette aventure peut-être comparée sans rougir à un recueil de contes, beaux et cruels, qui finissent par s'entremêler et se rejoindre jusqu'à former une fresque aux relents mythologiques. Cette narration particulière, soignée à l'extrême dans chacun des fragments scénarisés que parcourt le joueur, est due aux prémisses scénaristiques du jeu, une histoire qui s'érige comme une ode à l'évasion. Dragon Quest VII place le joueur aux commandes d'un garçon qu'il nommera à sa guise, fils d'un pêcheur renommé et glorifié par les habitants de la région. Ce jeune homme, héros en devenir, est accompagné de deux amis fidèles : Maribel, une jeune fille têtue et culottée, et Killyan, qui n'est nul autre que le prince du coin. Ce coin, c'est une petite île isolée, seul bout de terre sur un monde recouvert par l'océan. Bientôt, pour une raison expliquée par le jeu, les enfants découvrent qu'il existait autrefois une myriade d'autres îles et continents, aujourd'hui disparus. Ils se donnent alors pour mission de sauver ces bouts de terre ancestraux, les fameux vestiges du monde évoqués dans le titre du jeu. Pour ce faire, la bande va voyager dans le temps et empêcher diverses catastrophes de se produire.


Chaque voyage vers le passé permet alors de découvrir une nouvelle île, avec ses villes et coutumes, l'occasion pour les scénaristes de livrer des histoires aussi diversifiées que plaisantes, bien que la mélancolie et la tristesse envahissent souvent ces petits contes. En seulement quelques heures de jeu, le joueur devra par exemple empêcher une éruption volcanique liée à un démon, mettre fin à un terrible conflit entre humains et machines, sauver des autochtones métamorphosés en pierre ou animaux, ainsi qu'une pléthore d'autres quêtes variées. Ces historiettes sont jouées par des personnages innombrables qui, s'ils ne sont pas tous attachants, remplissent leurs rôles à merveille, chacun disposant d'une petite histoire qui leur confère une certaine épaisseur mais aussi et surtout une existence. Chaque endroit visité offre ses propres mythes et inspirations, ce qui est renforcé par les dialectes employés (la traduction est excellente, avec de l'allemand, des mots argots liés aux romanichels, etc...). Ici, une peuple croyant vénère un dieu des flammes, là une tribu nomade parcourt le monde à la recherche d'un autel divin, et ainsi de suite. Puis, finalement, ces scènes isolées, qui pourraient se suffire à elles-mêmes, tendent à se regrouper. Les petites histoires finissent par raconter l'Histoire, une puissante épopée relatant le combat entre le Bien et le Mal. Il convient alors au joueur de tisser les liens entre les fragments que distille le jeu à travers une narration effritée et étoffée, mais toujours d'une pudeur remarquable. Ainsi, un vieillard à moitié saoul rencontré au sein d'une auberge au bout du monde narre le conflit entre deux forces divines qui s'est déroulé dans un passé lointain, mais ce passage peut être délaissé par le joueur qui se contentera de poursuivre sa quête et visitera d'autres lieux. Les bribes d'un scénario dense se mettent en place lorsque le joueur découvre que son personnage n'est si banal que ça (il est capable de lire un dialecte antique, arbore une étrange marque sur le corps...), mais les réponses ne seront livrées que bien plus tard.

L'écriture brille aussi à travers les contrastes qui naissent entre le passé et le présent. Chaque action effectuée lors des voyages dans le temps aura des conséquences imprévisibles : un village en plein désert ouvrira des thermes, un autre prospérera, un autre encore, au contraire, disparaîtra. Le temps est un thème récurrent dans la saga Dragon Quest, riche en ellipses et autres jeux sur les époques (voir l'épisode V qui s'étale sur plusieurs générations), mais ici la thématique confronte le joueur à son insignifiance. Les héros côtoyés dans le passé sont retrouvés sous formes d'ossements, ou en tant qu'épitaphes sur des pierres tombales, quand ils ne sont pas tout simplement oubliés ou traités comme des légendes. Le joueur est le seul à avoir une vision d'ensemble de cet univers, qu'elle soit spatiale ou temporelle.


Si le classicisme offert par le jeu offre une progression balisée et régulière, les scénaristes se permettent une liberté surprenante, dont le but premier est de surprendre le joueur. Certains codes du jeu de rôle japonais sont alors détournés, ce qui rend l'aventure souvent imprévisible. Le principe même de découvrir de nouvelles îles permet d'aborder une multitude d'atmosphères éloignées les unes des autres, ce qui renouvelle constamment l'intérêt et la volonté d'en découvrir davantage. Ainsi, l'obtention très tôt dans le jeu d'un bateau, libre de voguer sur les océans du monde, en surprendra plus d'un. Cependant, tout dans Dragon Quest VII se mérite, et si le joueur a la possibilité de naviguer partout, il lui faudra d'abord débloquer les îles et continents engloutis. Les surprises émaillent le jeu, il ne faut jamais se reposer sur ses acquis. Par exemple, au bout de plusieurs heures passées à fouiller frénétiquement coffres, tonneaux, bibliothèques et autres puits, voilà que tout d'un coup ces objets peuvent se révéler dangereux et renfermer des créatures à terrasser (voir la première apparition d'un monstre dans un puits, qui survient lors d'un moment particulier de l'aventure et s'ajoute au désespoir ambiant du passage concerné). Rien ne perdure dans le jeu, et surtout pas les certitudes, comme le prouve le départ précipité d'un personnage puissant et essentiel, ou la disparition abrupte et totale de tous les pouvoirs et sorts durement obtenus à force d'expérience engrangée. Les épreuves se bousculent, à travers une scénarisation très efficace, ce qui force le joueur à s'adapter. Tout le chapitre dédié à l'abbaye en constitue l'exemple parfait : trompé par des démons ayant pris l'apparence de membres du clergé, l'équipe se fait déposséder de sa puissance avant de finir dans un village rempli de gens malhonnêtes qui ne cesseront de tromper le joueur, l'abandonnant par exemple aux prises d'un terrible combat dont l'issue ne peut être que la défaite.

Le jeu offre aussi un humour surprenant pour le novice, bien que ce soit un aspect récurrent de la saga, notamment le côté fripon de certaines séquences (une petite pensée pour toute une génération bouleversée par le "paf - paf" de Dragon Quest VIII), comme lorsque le héros consulte par mégarde un magazine olé-olé. Mais d'autres traits d'humour surviennent durant l'aventure, lors de séquences qui jouent avec la narration (une nouvelle preuve de la maîtrise des scénaristes). Ainsi, le retour dans le village des animaux en surprendra plus d'un. Après avoir levé la malédiction dans le passé, l'équipe revient visiter le patelin dans le présent, et tombe sur une bande de chevaux, chiens et vaches qui marchent en file indienne. Le joueur pense d'abord que la malédiction est de retour, avant de se rendre compte qu'il ne s'agit que d'un bal costumé ! Dans le même genre, il y a une scène durant laquelle une gouvernante annonce avoir empoisonné la nourriture que vient d'ingurgiter l'équipe. La musique s'efface alors, tandis que les commandes se retrouvent bloquées et qu'il est impossible pour le joueur de bouger... jusqu'à ce que ce que la gouvernante annonce que ce n'est qu'une blague. Des exemples comme ceux-ci pullulent dans le jeu, et les découvrir concourt à surprendre le joueur.


La découverte passe aussi par la diversité des lieux, incomparable. Ce long voyage mènera les héros de villages (très nombreux) en donjons (très nombreux) qui tous possèdent un petit quelque chose qui les rend uniques. Parfois, les décors s'encombrent de zones supplémentaires qui ne servent pour ainsi dire à rien (une chambre sans objet à fouiller, un long couloir à traverser, un chemin à arpenter pour accéder à un couvent, etc), si ce n'est à renforcer l'immersion. Le level design est réfléchi, les donjons proposent parfois des petites énigmes ou des mini-labyrinthes, tandis que les villages dissimulent quelques secrets (un passage souterrain dissimulé entre des arbres, une porte cachée à l'arrière d'une boutique, un casino secret planqué dans un puits !). La réalisation reste sommaire, mais assez détaillée pour donner vie à cet univers, tout en étant diversifiée (chaque zone ayant ses influences, ici un site de fouilles archéologiques, là un camp constitué de tentes, ailleurs un temple qui n'est pas sans rappeler certains décors de Dragon Ball, etc). La traversée de ces paysages variés s'accompagne des compositions envoûtantes de Sugiyama, qui signe ici l'un de ses meilleurs travaux. Les thèmes des villages sont entraînants, ceux des combats énergiques, et tous se veulent immersifs. Certaines envolées ne sont pas sans rappeler les élans mystiques des bandes sons de The Legend of Zelda, voire des instrumentations de Joe Hisaishi, qui partage une certaine douceur et sincérité avec ces pistes. Parmi les réussites incontournables, le thème du casino est sensationnel, tout comme celui qui accompagne la navigation, tous deux s'accordent à la perfection aux séquences qu'ils habillent. Une autre réussite de la bande son réside dans les musiques dédiées au passé, habitées par une mélancolie certaine, idéale quand l'équipe traverse ces endroits désolés, en proie au Mal, ou lorsque la bande traverse la carte du monde peuplée de monstres.

Les monstres, justement, sont très variés et insidieux. Leur design grotesque tranche radicalement avec leur dangerosité. Si force est de constater que le début de l'aventure est plutôt aisé, le jeu offre une courbe de difficulté maîtrisée dont le pic se situe à l'abbaye que l'équipe sera amenée à traverser. Ce passage, qui prendra plusieurs heures aux joueurs, se présente comme un véritable climax, les épreuves s'enchaînent à un rythme indécent, tandis que tout espoir est ôté au joueur qui doit faire face aux pires menaces depuis le début de l'aventure. Humains et monstres seront des adversaires farouches, tandis que les combats de boss se succéderont avec une frénésie éreintante. C'est à ce moment que le jeu aborde un virage abrupt dans son scénario, en présentant les éléments fondateurs de l'Histoire et en introduisant ce qui sera une menace considérable pour le joueur. Celui-ci devra survivre, traverser des donjons privé de ses pouvoirs, affronter des adversaires surpuissants et groupés, sauver une jeune femme de ses geôliers, remporter un tournoi mortel au sein d'une arène et enfin défaire un ennemi d'une puissance incommensurable, autant d'épreuves qui lanceront la véritable aventure que représente Dragon Quest VII.


D'autres qualités émaillent le jeu, comme sa traduction française impeccable, d'une rigueur et d'un charme épatants, ou le fait que le joueur devra exploiter intelligemment le monde qu'il fait renaître, en jonglant entre passé et présent pour débloquer des situations (par exemple aller chercher un remède, retrouver un objet disparu, etc). Ces quinze premières heures n'offrent même pas au joueur l'intégralité du système de jeu, qui ne se débloque qu'avec l'obtention du système de vocations, lequel permet aux personnages d'embrasser plusieurs voies d'évolution, chacune offrant plusieurs aptitudes et nouveaux sorts (en plus de changer leur look !). La richesse du jeu est colossale, mais elle se mérite.

Parfois fourbe, le jeu récompense cependant toujours le joueur investi et persévérant. La puissance se gagne en combattant, les récompenses s'obtiennent en fouillant méticuleusement chaque zone, les bonus se décrochent en accomplissant les quêtes annexes, etc... Contrairement à une majorité de la production actuelle, La quête des vestiges du monde n'assiste absolument pas le joueur, le laissant parfois dans l'incertitude totale. C'est à force de persévérance que les merveilles de cette aventure se révèlent, le plaisir et la satisfaction en sont alors décuplés. Classique et surprenant, Dragon Quest VII semble être le jeu de tous les contrastes, une épopée schizophrène qui s'appuie sur des mécanismes connus et rigoureux pour mieux faire rêver le joueur, qui ne peut que se noyer sous l'immensité du monde conçu par Horii et sa bande, un monde féerique et merveilleux, sombre et lumineux, qui promet d'innombrables surprises durant de très longues heures.

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