It Follows


Réalisé par David Robert Mitchell

Cet article contient des spoilers.

It Follows s'ouvre sur une vision à la fois banale et anxiogène. Lors de ce tout premier plan, la caméra est fixée au centre d'une rue anonyme, artère d'un quartier résidentiel qui l'est tout autant. Malgré la teneur familière de ce cadre, la mise en scène sobre mais étouffante concourt à métamorphoser ce banal tableau du quotidien en une toile oppressante. Soudain, un personnage apparaît à l'écran, en même temps que la caméra commence un travelling circulaire et se met à filmer la rangée de maisons qui habillent le bord de la route. Ce personnage, une jeune fille piégée dans l'adolescence, semble en état de choc, et tandis qu'elle tente d'échapper à une présence indicible, les premières notes d'une musique insistante se mettent à résonner. La demoiselle parcourt les jardins du voisinage, traverse la route, et repousse l'aide d'une voisine qui ne comprend pas la situation. Bientôt, après avoir négligé les interrogations de son propre père, et tandis que la caméra poursuit sa rotation inexorable, la jeune fille grimpe dans la voiture familiale et prend la route, pied au plancher. Sa fuite en avant la mène au bord de la mer, tandis que la nuit étreint le décor. Assise au bord de l'eau, éclairée par les phares de sa voiture, l'enfant engage une conversation téléphonique avec son père. Conversation qui possède les sombres relents d'un adieu. Enfin, une transition soudaine montre le cadavre de la jeune fille, dans un plan fixe insistant, alors que son corps brisé repose dans une posture grotesque et impossible. Cette introduction d'une efficacité redoutable passée, le film démarre et nous invite à suivre le quotidien d'une autre jeune fille, Jay.

Second film du jeune réalisateur David Robert Mitchell, après l'intriguant The American Myth of Sleepover, It Follows est un long-métrage fantastique précédé par sa réputation. La faute au succès rencontré dans les différents festivals où le film a été projeté (par exemple au Festival du Film Fantastique de Gérardmer en 2015, où il décroche le Grand Prix et le Prix de la Critique). On retrouve dans ce second film l'atmosphère onirique qui enveloppait les plans de The American Myth of Sleepover, une production qui semblait déjà lorgner vers le fantastique, sans jamais y sombrer. Ici, le réalisateur plonge de plein pied dans l'horreur et délivre un objet filmique qui n'est pas sans rappeler les grands classiques du cinéma fantastique de la fin du siècle dernier. Il y a du Wes Craven et du John Carpenter dans It Follows, évidemment, mais aussi du Sofia Coppola lors des élans contemplatifs du métrage, des plans sur lesquels le temps ne semble avoir aucune emprise. Stephen King semble aussi être inspiration évidente, le "it" du titre ne pouvant s'empêcher ne rappeler l'antagoniste principal du (fantastique) roman éponyme.


Évidemment, les influences ne font pas un film, et It Follows s'impose sans mal comme un tournant dans le cinéma horrifique, s'érigeant comme une antithèse insolente face aux errances des récents torture porn (les suites indigestes de Saw) et autres found footage (Paranormal Activity) qui polluent nos cinémas depuis trop longtemps. Au contraire d'une débauche de gore et autres jump scares avariés, It Follows joue la carte du malaise constant, un malaise qui ne fonctionne qu'avec l'accord tacite du spectateur tant le film de Mitchell se dote d'un aspect ludique intelligent et rafraîchissant. Ludique car premièrement, la menace du film se dévoile progressivement. Supporté par une bande-annonce judicieuse qui ne révélait rien du scénario, le film délivre ses scènes introductives en maintenant un flou volontaire et angoissant. Finalement, Jay, l'héroïne, rencontre un jeune homme avec lequel elle se liera très vite. Bientôt, ce jeune homme la drogue et la séquestre, le spectateur pense alors que la menace du film sera incarnée par cet individu. Pourtant, quelques éléments tendent à infirmer cette hypothèse, comme la fameuse scène d'introduction bien sûr, mais aussi un étrange dialogue entre les deux personnages, au cinéma. Une conversation durant laquelle le jeune homme semble voir quelqu'un d'invisible aux yeux de sa compagne. En effet, quelques instants après la séquestration de Jay, la véritable menace apparaît, tandis que son amant d'une nuit déblatère un discours pressé et difficile à cerner. Il y est question d'une sorte de malédiction qui se transmet par le sexe, et non plus par cassette vidéo (voir le film Ring, de Hideo Nakata, qui rappelle It Follows à de nombreuses reprises). L'entité qui hante alors la victime peut prendre l'apparence de n'importe qui, qu'il s'agisse d'un anonyme ou d'une proche. Seule constante : elle marche en direction de la personne qu'elle poursuit, d'une lenteur terrifiante, inexorablement. Une approche qui n'est pas sans évoquer les films de zombies, surtout les plus anciens, encore une fois, à l'époque où ces créatures ne savaient ni courir ni communiquer entre elles.


Ludique, donc, car le reste du film ne déroulera aucun moment de sursaut (à part une petite blague d'un personnage secondaire, qui ne sert nullement l'horreur et se veut plutôt comme un pied de nez à l'encontre de ce gimmick trop usité). La peur se dissimulera sur l'écran et pourra survenir dans une simple scène de dialogue entre les protagonistes. Dans It Follows, la menace est perpétuelle, elle peut prendre la forme de n'importe quel figurant présent à l'écran. Le spectateur, pour peu qu'il soit plongé dans l'univers du long-métrage, ne peut s'empêcher de scruter chaque élément du décor, à la recherche d'une présence qui, fatalement, finira par apparaître. Intelligent, car ce n'est pas le film qui instaure le malaise chez le spectateur, c'est ce dernier qui s'enferme lui-même dans sa paranoïa, et chaque individu pourra stresser à différents moments de la pellicule. Bien entendu, le film conserve des scènes fortes et stressantes. Toutes les confrontations avec "ça" versent dans l'angoisse la plus instinctive, comme le prouvent les scènes qui se déroulent de nuit, chez Jay, mais aussi en plein jour. Ainsi, le film contourne les codes du cinéma horrifique qui allie perpétuellement l'horreur à la nuit, ou alors en évitant l'aspect racoleur de plusieurs productions. Pas de nudité racoleuse dans It Follows, les quelques scènes de sexe sont tournées avec un détachement et une froideur cliniques. Le sexe est désincarné dans le film, il n'est d'ailleurs pas lié à l'amour, ou alors seulement à sens unique. Pire, il est le vecteur même de la malédiction. Certains ont d'ailleurs vu dans le film une dénonciation des maladies sexuellement transmissibles, mais cette vision du film semble totalement hors de propos quand on voit le long-métrage dans son intégralité. La grande force du film est de ne se cloisonner à aucune interprétation. Chacun pourra y déceler ce qui lui parle, selon son expérience et ses croyances. Certains ont vu dans l'entité maléfique une sorte de punition divine, d'autres y voient une mort de l'innocence (symbolisée par le sexe dans le film), d'autres encore y décèlent la personnification du regret. Le long-métrage dissimule des indices et des non-dits, qu'il est facile de rater lors d'une première vision. Par exemple, la dernière forme prise par l'entité adopte les traits du père de Jay, que l'on aperçoit sur l'une des photographies, dans la maison de l'héroïne, et que le spectateur peut facilement occulter. Ces non-dits s'illustrent dans la mise en scène par la présence d'ellipses, comme celle qui survient alors que Jay se rendait vers un bateau en pleine mer, dans le but de transmettre la malédiction. Encore une fois, c'est au spectateur de se forger son propre avis, non seulement en ce qui concerne l'aspect mythologique du film (l'origine de la chose, ce qu'elle est, etc) mais aussi les actions des personnages. It Follows résonne ainsi de manière différente pour chacun de nous, une caractéristique qui n'est pas, entre autres, sans rappeler les créations d'un réalisateur comme David Lynch. Cette liberté d'interprétation se retrouve jusque dans la conclusion du film. Après avoir tenté de piéger l'entité dans une embuscade que n'aurait pas renié le scooby gang (d'ailleurs toute la bande de personnages évoque clairement les protagonistes de Scooby-Doo), le dernier plan présente Jay et son nouveau petit ami, main dans la main, tandis qu'ils marchent en avant, face à la caméra. Derrière eux, au loin, se dessine la forme indistincte d'un personnage, qui marche dans la même direction qu'eux. Évidemment, le doute subsiste, c'est à chacun de conclure cette histoire de la manière qu'il lui plaira.


Le "combat final" se déroule d'ailleurs dans une piscine municipale, écho évident au plan d'introduction qui présentait Jay au spectateur, lequel découvrait la jeune fille dans sa piscine de jardin, épiée par ses petits voisins. Piscine que l'on retrouvera plus tard, sale, comme souillée, après que Jay ait couchée avec celui qui lui transmettra la malédiction, Greg. Plus tard, cette même piscine sera présentée complètement vide. Retrouver une piscine pleine en fin de métrage renvoie à Jay telle qu'elle était en début de film, quand elle se sentait en sécurité dans son cocon aquatique. Il est évident que Jay, quand débute le film, sort d'une épreuve difficile. L'absence du père, le fait de s'isoler du reste du monde, rien n'est prouvé, tout reste, une fois de plus, sous entendu.

It Follows est, pour moi, un film sur l'enfance. Il faut voir la manière dans les adultes sont évincés du récit, délibérément. Toujours dans l'ombre, au sens propre comme au figuré, les adultes sont les plus grands figurants du métrage, dont ils semblent totalement absents. Les adolescents du groupe de personnages principaux semblent vivre hors du monde, enfermés devant de vieux films à la télévision, noyés dans leurs liseuses électroniques (dont le design a été créé spécialement pour le film, ce qui participe à cette notion de côtoyer un univers soit irréel, soit intemporel), ou bien se rendent dans des endroits isolés ou abandonnées (la plage ou la maison en ruines). D'ailleurs, le film se déroule dans un cadre qui n'est jamais cité, même s'il s'agit de la ville de Detroit (comme le prouve le titre de l'un des morceaux de la bande-son), le cadre du métrage perdant alors tout repère spatial ou temporel. La bande-son, justement, dévoile un univers sonore électronique et angoissant, qui une fois encore cite avec justesse et respect les films d'horreurs typiques de la fin du siècle dernier. Signée Disasterpearce, qui a déjà réalisée les OST de jeux "musicaux" comme FEZ ou Runner 2, en plus d'albums solo. Le résultat est juste intense, admirable lorsqu'il est couplé aux images. Une écoute en dehors du visionnage du film est plus délicate. Cette bande-son étale ses atmosphères parfois planantes, parfois stressantes, avec une rigueur incroyable. Bien loin des standards actuels, les thèmes musicaux du film sont souvent constitués de sons, au détriment de mélodies, mélodies qui surviennent à quelques rares endroits, et n'en restent que plus efficaces. Il y a une nostalgie certaine qui s'extirpe de ces courtes mélodies (voir le thème baptisé "Detroit" justement, à écouter de nuit, au volant, en traversant la ville endormie), et il n'est pas rare de songer à Donnie Darko, un film de Richard Kelly avec lequel It Follows partage plusieurs points communs.


Inspiré d'un cauchemar fait lorsqu'il était enfant, David Mitchell réalise avec It Follows un film d'horreur atypique, ne se privant pas d'envoyer paître les ténors du moment ainsi que les codes du cinéma horrifique contemporain. Mû par une ambiance et une âme uniques, le long-métrage s'éloigne des canons et s'insinue dans l'esprit du spectateur d'une manière sournoise et pernicieuse, à l'image de sa créature. Soutenu par une direction artistique primant les ambiances et atmosphères éthérées, ainsi que par des acteurs investis, It Follows parle d'abandon de l'enfance au profit de l'entrée violente dans l'âge adulte, la découverte des responsabilités, de la nostalgie, de la mort inéluctable. Pourtant, c'est sur une image d'amour que se conclut cette histoire, présentant la naissance d'un couple qui, pour la première fois depuis le début du film, s'aime réellement.

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