Watchmen


Ecrit par Alan Moore et dessiné par Dave Gibbons

Cet article contient des spoilers.

Difficile d'aborder Watchmen sur la toile. Deux possibilités: soit le lecteur connaît l'oeuvre et ne cherche qu'un moyen d'en apprendre davantage sur le livre, soit il n'en a jamais lu une seule page et dans ce cas il est ardu d'aborder ce monument tant celui-ci est abyssal. Watchmen est une oeuvre dense qui, en plus de raconter une histoire rythmée et passionnante, se permet de proposer une réflexion aboutie, cristallisée dans une mise en page et une structure graphique réfléchies. Cependant, avant d'aborder l'oeuvre en profondeur, il convient de la replacer dans son contexte. Watchmen est un roman graphique. C'est bête à dire, mais c'est important. La parution a débuté en 1986 et s'est étalée sur six numéros. A l'époque où Watchmen est sorti, Ronald Reagan était président des USA, tandis que Margaret Thatcher siégeait en Angleterre. Les comic books entraient dans une nouvelle période, initiée avec des titres comme The Dark Knight Returns de Frank Miller. Les super-héros étaient figés dans des aventures palpitantes, mais pas encore libérées de plusieurs contraintes morales, ils étaient coincés dans un dogme perpétuel. Pourtant, au milieu de cet immobilisme, certains comics commencent à s'émanciper et deviennent de plus en plus réalistes. Au coeur de cet univers en pleine métamorphose, paré à entrer dans ce que l'on appelle la période contemporaine des comics, Watchmen va faire l'effet d'un boulet de canon.

Watchmen développe une année 1985 uchronique durant laquelle Richard Nixon est toujours président. Dans cet univers, la menace d'une Troisième Guerre Mondiale pèse sur le monde, le scandale du Watergate a été étouffé et les Etats-Unis ont remporté la victoire lors de la guerre du Viêt Nam. La loi Keene interdit aux super-héros d'exercer leur activité (excepté pour ceux travaillant directement pour le gouvernement), ce qui fait que le groupe de Gardiens Watchmen a été dissolu. Le récit débute alors que l'un de ces anciens super-héros est retrouvé mort. Il s'appelait le Comédien. L'un de ces ex collègues, le déterminé Rorschach, enquête et tente d'avertir les autres Watchmen, partis en retraite. Chacun des six chapitres sont consacrés à un personnage en particulier. Car les personnages sont l'un des points forts de l'histoire. Ces humains costumés, contrairement à Superman ou Spiderman, ne possèdent pas de pouvoirs (sauf un). Ils sont terriblement proches de nous, avec leurs faiblesses, mais aussi parce qu'ils doutent, qu'ils se ramolissent et qu'ils vieillissent.


Ecrit par Alan Moore * et dessiné par Dave Gibbons *, Watchmen tel que le souhaitait son scénariste devait décrire la réhabilitation de super-héros tombés dans l'oubli. Ainsi, l'histoire s'ouvre sur la mort d'un super-héros. Et comme le dit Moore lui-même, plus le récit avance, plus on plonge dans la réalité de ces individus, et on découvre une réalité très différente de l'image classique donnée par les surhommes. On rencontre des personnages hantés par leurs regrets, leurs erreurs et leurs faiblesses. Les Watchmen meurent, trompent et se trompent. Mais au fait, pourquoi "Watchmen" ? En France, le récit est édité pour la première fois sous le titre "Les Gardiens". "Watch" en anglais signifie "observer", dans le sens "surveiller". La notion de gardien propre à la traduction française était donc plutôt bien trouvée. Toutefois, il faut souligner que "watch" peut aussi désigner une montre. En lisant le récit, on s'aperçoit que les montres, les horloges, le temps lui-même, possèdent une importance significative. Dès le titre de son oeuvre, Alan Moore entame les symboles et métaphores. Le logo aussi raconte beaucoup de choses. Si vous regardez attentivement, vous remarquerez que le sang présent sur le smiley est en forme d'aiguille. L'aiguille d'une montre, ou peut-être même de l'horloge de l'Apocalypse, présente dans le récit. Ainsi, le logo lui-même représente une montre, le "watch" du titre.

* Alan Moore
Scénariste britannique, Moore est connu pour avoir démocratisé les comics en produisant des oeuvres matures au style littéraire appuyé. Anarchiste déclaré, adepte de magie, Moore écrit plusieurs histoires considérées aujourd'hui comme essentielles: Watchmen bien sûr, mais aussi From Hell ou V for Vendetta. Ses travaux comportent plusieurs niveaux de lecture et peuvent s'apprécier aussi bien au premier degré que pour les différents messages qu'ils renferment. Alan Moore est un auteur fascinant, détenteur de plusieurs prix reçus pour récompenser ses ouvrages.

* Dave Gibbons
Connu en Angleterre pour ses travaux sur les comics, comme par exemple les premiers numéros de Doctor Who, Dave Gibbons est à la fois scénariste et dessinateur. Véritable touche à tout, l'artiste a commencé à travailler sur des numéros de Green Lantern, mais ne s'est pas limité au monde des comics. Gibbons s'est retrouvé sur le projet de jeu vidéo Beneath a Steel Sky, réalisé par Revolution Software, à qui l'on doit déjà la saga des Chevaliers de Baphomet.

Connu en Angleterre pour ses travaux sur les comics (comme Watchmen ou les premiers numéro de Doctor Who), Dave Gibbons est à la fois scénartiste et dessinateur. Véritable touche à tout, l'artiste a commencé à travailler sur des numéros de Green Lantern, mais ne s'est pas limité au monde des comics. Gibbons s'est retrouvé sur le projet de jeu vidéo Beneath a Steel Sky, réalise par Revolution Software (à qui l'on doit les Chevaliers de Baphomet, entre autre).
Cette montre se retrouve tout au long de la lecture, s'approchant inexorablement d'une heure zéro fatidique. Le temps, et plus précisément cette montre, rythme l'ensemble du récit. Symboliquement, les deux aiguilles vont se superposer et n'en former qu'une seule. Cette unification représente le final de Watchmen, un rassemblement dans la paix, via un sacrifice. Peu à peu, le "V" que forment les deux aiguilles se consume. Seulement, ce n'est pas la première fois qu'Alan Moore utilise cette lettre. Dans le roman graphique V for Vendetta, dont il a commencé l'écriture avant Watchmen, V est un personnage qui symbolise la liberté. Ce V provient en fait d'un roman de Thomas Pynchon, pour qui ce symbole représente les aspirations humaines, nos buts, nos rêves, mais aussi l'écart entre nos objectifs et notre réalité. La disparition de cet espace entre les deux branches, les deux aiguilles, signifie donc l'aboutissement vers un idéal, vers une utopie. Ce symbole est très présent dans Watchmen. On le retrouve sur le badge du comédien, tâché de sang, mais aussi sur les aiguilles de l'horloge de New-York ou dans les abstractions du masque de Rorschach. D'ailleurs, il est intéressant de constater qu'Ozymandias s'appelle en réalité Adrian Veidt *, dont les intiales sont "A" et... "V". Quand on sait qu'il est l'instigateur de tout le plan obscène qui rythme Watchmen, retrouver le "V" dans son vrai nom est loin d'être anodin. Le A, lui, n'est qu'un V à l'envers...

* Adrian Veidt
Le nom de famille "Veidt" vient certainement de l'acteur allemand Conrad Veidt. Celui-ci joue dans le film Le Cabinet du Docteur Caligari, réalisé en 1920 par Rovert Wiene. Dans ce métrage, Conrad joue le rôle de Cesare, un somnambule qui tente de prévenir les gens qui l'entourent qu'un criminel rôde dans les parages. Cependant, le spectateur apprend finalement que, attention au spoiler, Cesare est lui-même complètement fou. Le parallèle entre Conrad Veidt et Adrian Veidt dans Watchmen est aisément identifiable.

Le nom de famille "Veidt" vient certainement de l'acteur allemand Conrad Veidt. Celui-ci joue dans le film Le Cabinet du Docteur Caligari, réalisé en 1920 par Robert Wiene. Dans ce métrage, Conrad joue le rôle de Cesare, un somnambule qui tente de prévenir les gens qui l'entourent qu'un criminel rôde dans les parages. Cependant, le spectateur apprend finalement que Cesare est lui-même complètement fou. Le parallèle entre Conrad Veidt et Adrian Veidt dans Watchmen est aisément identifiable.
Les personnages constituent une grande force du roman graphique. Tous représentent quelque chose, une notion abstraite, à commencer par le Docteur Manhattan *. Dans ce monde paranoïaque, le Docteur symbolise la science, voire le pouvoir de la science. Celle-ci supplante aisément, au cours de notre évolution, le mysticisme et les croyances. Dieu dans Watchmen n'est plus la cible d'une foi invétérée, Dieu est américain et il contrôle la physique de notre monde. C'est ce que l'on appelle la religion positive. On retrouve l'importance de la science tout au long de l'Histoire, comme pour les Lumières, puis les communistes ou les nazis. Et qu'est ce qui, dans notre Histoire, symbolise l'entrée du monde dans une période régie par l'absolue puissance de la science ? La bombe nucléaire. Hiroshima *.

* Docteur Manhattan
C'est sous le nom de code "Projet Manhattan" que se dissimulent les études menées par les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, qui consistaient à effectuer des recherches sur l'arme atomique. Au terme de ce projet, on retrouve les tristement célèbres bombardements de Nagasaki et Hiroshima. Dans l'uchronie de Watchmen, le gouvernement décide de surnommer Jon le "Docteur Manhattan", pour inspirer de la terreur aux ennemis de la nation.

* Hiroshima
Hiroshima représente toute l'horreur dont la science est capable. On retrouve dans Watchmen plusieurs tags qui reviennent sur les murs de New-York. Outre le slogan "Who watches the Watchmen ?", l'image de deux amants qui s'étreignent apparaît régulièrement. Témoin de l'horreur d'une guerre atomique, cette image est commentée par plusieurs personnages au cours du récit.

Le Docteur Manhattan symbolise tout ce progrès scientifique. Ce n'est pas par hasard que Jon Osterman (le véritable nom du Docteur Manhattan) est fils d'horloger, tout comme Einstein (créateur de la bombe atomique). Tandis que les pages défilent, le pouvoir du Docteur semble repousser inlassablement toutes les limites connues. A la fin du récit, il s'en va même pour tenter de créer la vie. Parallèle suivant, le Docteur est accusé de provoquer des effets indésirables, comme des cancers, à l'instar des nouvelles technologies (qui n'a jamais entendu parler des ondes nocives des téléphones portables, par exemple). Enfin, dernier point flagrant, les conséquences des apports de la science. Celle-ci améliore notre niveau de vie, notre confort, mais l'Homme, à force de se plonger dans la science, finit par se déshumaniser, à oublier ce qu'il est. Dans Watchmen, le Docteur Manhattan s'éloigne de plus en plus des considérations humaines. Il n'apporte aucune considération à la pudeur, il voit la mort comme une simple conséquence physique, il n'arrive plus à se situer dans une ligne temporelle. Il se perd. Il est clair que le Docteur Manhattan représente, dans Watchmen, le concept de Science, avec tous ses apports et ses conséquences.

Au début de l'histoire, Manhattan partage son existence avec celle de Laurie Juspeczyk. Ce personnage, unique membre féminin parmi les six Watchmen du récit, symbolise clairement le concept de la Paternité, et par extension de la société patriarcale. Dans nos sociétés, les jeunes filles ont comme premier modèle leurs mères, qui leur apprennent (consciemment ou non), à survivre dans ce monde. Le père, lui, se place davantage en tant que représentant de la rigueur, de l'obéissance. Dans Watchmen, le père de Laurie est mort. Le personnage de Laurie, qui au début ignore son identité, veut en finir avec le manque se son père, mais aussi avec ce dernier. La découverte de l'identité du père, et les rapports qu'entretenaient celui-ci avec la mère, se font dans la violence. L'innocence et l'incertitude de Laurie sont brisées et irréparables. Cette notion de destruction se retrouve à de nombreuses reprises, dans des éléments cassés: le flacon de parfum Nostalgie brisé, le verre lancé sur le Comédien, la boule de cristal mais aussi et surtout l'immense palais construit sur Mars, où Laurie apprend toute la vérité. Mais Watchmen raconte la fin d'une époque, la fin d'une société gouvernée par les hommes, le début d'une nouvelle ère. Le Comédient est mort, et avec lui toute notion de régulation, de contrôle. Pour Laurie, c'est la fin d'une vie dans l'anonymat, à suivre les règles. Elle reprend du service sous les traits du Spectre Soyeux, et renie ainsi la loi Keene, et donc l'autorité patriarcale. De la même manière, elle reprend sa vie affective en main, quitte Jon et entame une relation avec Dan.

Dan Dreiberg justement, est le Watchmen surnommé le Hibou *. Outre la référence dans le costume au Batman d'Adam West, des années 60, Dan peut être la représentation de l'insignifiance. En effet, dans Watchmen, Dan n'existe qu'à travers son costume. Une fois la loi Keene votée, une fois le costume ôté, Dan n'a plus aucune raison d'être. D'ailleurs, il passe son temps libre à retrouver Hollis Mason, le premier Hibou qui faisait à l'époque partie des Minutemen (le groupe qui précède aux Watchmen). Avec lui, il parle de ce temps où les super-héros pourchassaient les criminels. Hollis a d'ailleurs rédigé une autobiographie revenant sur son statut de super-héros. Dan poursuit un passé qui n'est plus, il se cherche un but, une identité. Dan en tant qu'homme anonyme ne peut pas s'épanouir, la véritable identité de Dan est en fait son côté Hibou. Pire, Dreiberg n'a même pas eu la primeur de devenir lui-même un super-héros, il poursuit en fait le parcours de Mason, en reprenant l'identité du Hibou. Dan n'existe pas. Tout ce qu'il entreprend, qui fait avancer le récit et le personnage, il le fait sous les traits du Hibou. Même lorsqu'il fait l'amour avec Laurie, ce sera après s'être travesti. De son côté, son mentor Hollis Mason, parfait contraire du Comédien et représentant d'une justice et de valeurs oubliées, s'éteindra sous les crocs d'une meute en furie.

* Hibou
Le hibou apparaît dans plusieurs cultures et peut avoir une connotation positive ou négative selon l'endroit et la période où il est présent. Par rapport à Watchmen, on peut se rapprocher de l'évocation du hibou dans l'Egypte antique. Il exprime le froid et la nuit, mais aussi la sagesse. Hors, dans le livre, Dan le Hibou apparaît en pleine nuit dans les rues de New-York, puis dans le froid en Antarctique. L'animal symbolise aussi la réflexion et l'intelligence: Dan sera l'un des seuls survivants du plan d'Ozymandias (avec Laurie). Dans l'iconographie hindoue, dont on retrouve des relents à la fin de Watchmen (l'entité extra-terrestre représente un mouvement new-age hypnotique), le hibou est attribué à la Mère. Quand on sait que le plan d'Ozymandias consiste à décimer la notion de Père, dans le but de développer une société maternelle, on comprend que Dan s'insère parfaitement dans sa nouvelle vie, à la fin du récit. D'ailleurs, le personnage se teindra les cheveux (en blond, ce qui est une analogie avec la race aryenne, Ozymandias étant la réprésentation d'Hitler). Enfin, il faut savoir que le personnage du Hibou a été pensé comme un possible reflet de Batman, le hibou étant un prédateur de la chauve-souris. Ce concept sera repris par Grant Morrison, dans L'Autre Terre, ou par Scott Snyder dans la Cour des Hiboux.

Le Hibou apparaît dans plusieurs cultures et peut avoir un sens positif ou négatif selon l'endroit et la période où il est présent. Par rapport à Watchmen, on peut se rapprocher de l'évocation du hibou dans l'Egypte Antique. Il exprime le froid et la nuit, mais aussi la sagesse. Hors, dans le livre, Dan le Hibou apparaît en pleine nuit dans les rues de New-York, puis dans le froid en Antarctique. L'animal symbolise aussi la réflexion et l'intelligence, et Dan sera l'un des seuls survivants du plan d'Ozymandias (avec Laurie). Enfin, dans l'iconographie hindoue, dont on retrouve des relents à la fin de Watchmen (l'entité extra-terrestre représente un mouvement new-age hypnotique), le hibou est attribué à la Mère. Quand on sait que le plan d'Ozymandias vise à décimer la notion de Père, pour développer une société maternelle, on comprend que Dan s'insère complètement dans sa nouvelle vie finale. D'ailleurs, le personnage se teindra les cheveux (en blond, ce qui est une analogie avec la race aryenne, Ozymandias étant la représentation d'Hitler).
Le Comédien, justement, par son caractère extrême, évoque une Histoire sans compromis, ou plutôt une attitude humaine passéiste. Machiste, sexiste, raciste, le Comédien reste le témoin et l'acteur d'un humour qu'il qualifie d'absurde, comme ce monde. Le personnage affronte l'Enfer de la condition humaine, il l'affronte et ne peut que s'en moquer, pour survivre. Son symbole, le célèbre smiley, apparaît comme le reflet de l'existence en tant que tragi-comédie. Le récit entier est rythmé par le Comédien, malgré son décès. Il est présent dans l'existence de Laurie, des flashbacks se montent autour du personnage, son meurtre marque le début de l'intrigue bien sûr, mais surtout, son symbole apparaît de nombreuses fois au cours du récit, de manière plus ou moins évidente (le smiley sur Mars, le reflet de Laurie dans la boule de cristal, etc...), lorsque les personnages se rendent compte de l'absurdité de cette farce. Blake représente toute la crasse dont a dû faire preuve l'humanité pour avancer. Pour accéder à un nouvel ordre mondial, comme le souhaite Ozymandias, il faut se débarasser de cette crasse, et par la même occasion, de la notion de Père, encore trop liée à une société passée et obscurantiste. Le Comédien, homme soldat, homme extrême, homme absurde, n'a plus sa place dans le nouveau monde.

Autre individu extrême, qui ne fait jamais aucune concession: Rorschach. Il est le Pessimisme, le Non, l'Opposition. Il le dit lui-même, aucun compromis, même face à l'Armageddon. Rorschach est un personnage créé par rapport au philosophe Hegel. Selon les réflexions de ce dernier, la négation est la maladie la plus féconde de l'âme humaine. Rorschach montre à plusieurs reprises qu'il est l'émissaire de la négation. Il est antipathique, laid, pervers, mais pourtant il se bat pour des valeurs pures. Rorschach et le Comédien partagent plusieurs points communs, dans leur attitude, et ce seront d'ailleurs les deux seuls Watchmen à mourir. Rorschach ne rentre pas dans le moule, malgré le fait que la société essaye de le raisonner, ou plutôt de le corrompre en souhaitant le changer, le transformer, le modeler. Ainsi, suite à son arrestation, le Docteur Long tentera de soigner Rorschach. Le Docteur Long représente l'Optimisme, il est le parfait antagoniste de l'homme masqué. Rorschach lui, est conscient de la blague absurde qu'est ce monde, il a conscience de la fin de celui-ci (les panneaux "la fin est proche" qu'agite le personnage tout au long des cases, à visage découvert). Mais face à l'évolution, au changement, il ne pourra rien. Figure de l'opposition, il sera aussi celle de la résistance. Mais à la fin, un des deux camps doit gagner, et Rorschach sait qu'il a perdu. Pour mieux marquer la notion d'opposition qui se dégage du personnage, Dave Gibbons a eu l'idée de traiter le chapitre qui lui est consacré de manière intelligente. En effet, toutes les planches de ce chapitre sont construites comme une tâche issue du test de Rorschach *. La toute première case fait écho à la dernière, la seconde renvoie à l'avant-dernière et ainsi de suite. La double-page centrale du chapitre se construit comme le reflet d'un miroir. Dans Watchmen, forme et fond sont intimement liés.

* Test de Rorschach
Le test de Rorschach est un test psychologique constitué d'illustrations représentant des tâches d'encre symétriques. Ce test comporte dix panneaux, dont 7 monochromatiques, essentiellement noirs. L'idée d'utiliser l'abstraction pour déterminer ce que voit l'individu est très ancienne, Léonard de Vinci y faisait déjà référence dans ses textes.

Le Test de Rorschach est un test psychologique constitué d'illustrations représentant des tâches d'encre symétriques. La tâche de gauche reflète celle de droite, le noir fait écho au noir, comme une multiplication du pessimisme. Le test comporte dix panneaux, dont 7 monochromatiques essentiellement noirs. L'idée d'utiliser l'abstraction pour déterminer ce que voit l'individu est très ancienne, Leonard de Vinci y faisait déjà référence dans ces textes.
L'utopie. Un thème largement abordé dans la littérature. Mais l'utopie doit-elle se concrétiser ? Pour Ozymandias, aucun doute là-dessus, peu importent les sacrifices. Le passé doit disparaître, et avec lui toutes les valeurs étriquées, comme la société patriarcale. Le nouveau monde doit être porté par la science. L'opposition doit être abattue. Le monde doit faire son deuil. Toutes ces notions sont illustrées par les Watchmen. Le surnom que se donne Adrian Veidt, Ozymandias, ne vient pas de n'importe où. Messager d'une Egype Antique révolue *, Ozymandias souhaite bâtir un nouveau monde avec un retour aux sources. Mégalomane dangereux, Adrian représente plusieurs notions à lui tout seul. La consommation, avec les objets dérivés qu'il produit, les sectes, avec son statut de gourou illuminé, et bien sûr le délire religieux contemporain. Il manipule la science (en la personne de Docteur Manhattan), il supprime le vieux monde (en tuant Blake), il contrôle les masses. Et pour ce qui est de l'entité extra-terreste envoyée à New-York ne représenterait-elle pas un mode de vie incompris, tel que le New-Age ? Avec son apparence de plante verte, ses pouvoirs de médium et sa fonction pacificatrice ? Ce monstre peut-il représenter une culture du "zen" écolo et apaisant ? Le mouvement qu'il représente n'est-il là que pour nous endormir ? C'est en tout cas ce que pense Ozymandias. Il endort, il est le Watchman, le Gardien, d'une masse zombifiée. Grâce à lui, le peuple consomme, abandonne les rixes, et fait tomber les masques.

* Egypte antique
Les civilisations antiques sont très présentes dans notre monde contemporain. Le symbole de la Pyramide se retrouve chez les francs-maçons, les arts communistes et fascistes reprennent les caractéristiques des sculptures gréco-romaines, les grandes sectes s'approprient une iconographie antique et développent un intérêt pour les mystères issus de ces civilisations, etc... Ozymandias se voit comme le pharaon de cette nouvelle société, d'où son pseudonyme, qui n'est autre que l'un des noms donnés à Ramsès II.

Les civilisations antiques sont très présentes dans notre monde contemporain. Le symbole de la Pyramide se retrouve chez les francs-maçons, les arts communistes et fascistes reprennent les sculptures gréco-romaines, les grandes sectes reprennent une iconographie antique et développent un intérêt pour les mystères issus de ces civilisations, etc... Ozymandias se voit comme le pharaon de cette nouvelle société, d'où son pseudonyme, qui n'est autre qu'un autre nom donné à Ramsès II.
Ozymandias a gagné.
Ozymandias a gagné, vraiment ?
Peut-être pas après tout. En effet, tout au long du récit, Moore et Gibbons distillent des indices concernant l'avenir du plan de ce post-Ramsès II. Le plus évident est la conclusion même de la saga, lorsque le manuscrit de Rorschach, son journal, est découvert par Seymour, jeune travailleur au New Frontiersman. Les extraits de ce journal accompagnent d'ailleurs la lecture du roman graphique. Le jeune Seymour et son patron vont-ils publier le journal ? Vont-ils dévoiler toute la vérité ? Le plan de Veidt est-il condamné à échouer ? Aucune réponse n'est clairement donnée, mais un indice flagrant apparaît. Le t-shirt de Seymour représente le smiley qu'arborait le Comédien. Dans une case, le vêtement est souillé par du ketchup, ce qui forme une tâche semblable à la trace de sang sur le badge de Blake. Comme si l'image finale renvoyait à la toute première, comme si l'Histoire allait se répéter. De plus, le Docteur Manhattan affirme ceci lors de ses dernière paroles: "Rien ne finit jamais". Il faut rappeler que ce simili-Dieu possède un regard omnipotent sur le passé, le présent et l'avenir. Sait-il que toute cette histoire n'est qu'une farce ?


Avec Watchmen, Alan Moore porte un avertissement. Il dénonce une société maternelle, qui nous force à satisfaire des envies qu'elle-même tend à faire naître. Les individus ne sont plus que des engrenages uniformes, qu'il faut remplacer quand l'un d'entre eux se met en tête de tourner à contre-sens. Watchmen est une comédie absurde, une tragédie positive. Il faut apprendre à penser et agir par nous-mêmes, lutter à nos échelles, comme Seymour qui a le choix entre ouvrir et lire le long journal de Rorschach, ou bien se contenter de lire une lettre dont la longueur n'excède pas quelques lignes.