The Walking Dead - Saison 1


Développé par TellTale Games

Cet article contient des spoilers.

A ma droite, la série de comics The Walking Dead, désormais partie intégrante d'un paysage culturel toujours en pleine expansion. Scénarisée par Robert Kirkman et maintenant dessinée par Charlie Adlard, The Walking Dead est une oeuvre actuellement incontournable, jouissant d'un succès critique et public quasiment unanime. Cette série de comics s'emploie à narrer la survie de Rick, un policier ayant survécu à l'apocalypse, survenue sous la forme d'une invasion de zombies. Les différents tomes content sa lutte pour la survie, alors qu'il retrouve rapidement son meilleur ami, sa femme et son fils. Grâce à un dessin noir et blanc efficace et expressif, ainsi qu'à un rythme malin, la série s'emploie à développer plusieurs thèmes avec, pour toile de fond, un univers post-apocalyptique propice aux plus grandes tragédies.
A ma gauche, TellTale Games, un studio de développement de jeux vidéo fondé par des anciens de LucasArts. Forts d'une expérience sur quelques classiques du point'&'click, comme Grim Fandango ou Monkey Island, les membres de TellTale Games réalisent, depuis quelques années, des adaptations de licences connues, sous forme de jeux d'aventure. Après quelques essais honorables, mais bien loin de révolutionner le genre, le studio s'attaque, dès 2012, à retranscrire l'univers décrépi de The Walking Dead sous la forme d'un jeu vidéo.

The Walking Dead n'en est pas à sa première adaptation. Une série télévisée cartonne déjà sur grand écran, tandis que le studio Activision s'est lui aussi lancé dans l'aventure en développant The Walking Dead: Survival Instincts. En s'attaquant à la licence, TellTale suscite l'appréhension des fans. Il faut dire que les dernières réalisations du jeu sont Retour vers le Futur, moyen, et Jurrassic Park, effroyable. Aussi, le studio possède un style qui lui est propre, que certains jugèrent inadapté à un univers de zombies. Les jeux TellTale permettent au joueur de contrôler un personnage, capable de se mouvoir dans des décors en 3D où il lui est possible de discuter avec les personnages non-joueurs, ainsi que d'utiliser des objets. Pour faire court, les productions du studio sont des point'&'click où l'on contrôle le personnage, au lieu de cliquer sur les objets. Le jeu grand public qui se rapproche le plus de ce gameplay étant Heavy Rain, de Quantic Dream. Evidemment, les petits de TellTale n'ont pas les mêmes moyens financiers que le géant français. C'est donc à l'aide d'artifices plus discrets que le studio s'est battu, afin de proposer une expérience inoubliable.


Inoubliable, car RIEN ne pouvait préparer la claque assénée par TellTale Games. Mais chaque chose en son temps. Le jeu débute lors d'un trajet en voiture. Au volant, un policer un peu trop bavard. A l'arrière, menotté, vous. Le joueur incarne Lee Everett, en plein transfert vers la prison du comté. La première chose qui surprend, c'est l'aspect technique du jeu. "The Walking Dead" est réalisé en cell-shading, cette fameuse méthode qui consiste à donner un aspect "dessin-animé" au moteur 3D. Dans le cas de ce jeu, le rendu est très proche d'un aspect comics. C'est bien simple, on croirait voir des planches de bande-dessinée animées. La direction artistique utilise des couleurs ternes, qui confèrent au soft une ambiance mélancolique, presque désespérée. Les personnages adoptent un design proche de la caricature, sans jamais en faire trop. Rapidement, le jeu confronte le joueur au tutorial. Il est possible de regarder tout autour du personnage, mais dès que le curseur s'approche d'un élément interactif, les actions disponibles apparaissent. Ce gameplay, choisir une réponse lors d'un dialogue et quelques QTE seront les seules actions nécessaires pour avancer dans le jeu.

Bientôt, le policier entame la discussion avec Lee, l'occasion pour le joueur d'expérimenter le système de discussion. Une fois que l'interlocuteur a fini sa phrase, plusieurs choix de réponses apparaissent sur l'écran. Il convient alors au joueur de choisir la réponse qui lui semble appropriée, tandis qu'une jauge stressante se vide peu à peu. Si le joueur ne se décide pas et que la jauge se vide, la plupart du temps le résultat ne sera pas très probant. Ce système relativement simple prouve très vite son efficacité, dès cette scène d'introduction. Alors que le policier parle inlassablement, l'attention du joueur se porte sur ce dialogue étant donné que c'est le seul élément que propose le jeu pour en savoir plus sur le personnage incarné, Lee. Tandis que la caméra, placée à l'intérieur de la voiture, pointe vers la route qui défile devant la voiture, une ombre se dessine peu à peu au loin. Plus le véhicule s'en approche, plus la forme devient nette, il s'agit d'une personne qui traverse la route. Plusieurs choix de dialogue apparaissent à l'écran, pour tenter de prévenir le conducteur qui ne regardait pas la route, et le joueur, paniqué, ne sait pas trop quoi faire. De toute façon, à cette vitesse, l'accident était inévitable. Coups de frein, tonneaux, Lee est assomé.


En quelques minutes de jeu, TellTale a déjà expliqué les bases de toute ce qui va suivre, tout en donnant un aperçu du background du personnage, qui va se construire peu à peu. Et déjà, le joueur est dépendant du système de dialogues, le seul moyen de communiquer avec autrui, et de s'identifier au personnage de Lee. Le choix proposé quelques secondes plus tôt, juste avant l'accident, ne sert à proprement parlé, à rien. Il n'y a aucun moyen d'éviter le crash. Par contre, pouvoir s'exprimer suivant ses propres mots permet de s'immerger immédiatement et intégralement dans l'univers du jeu. Ce système de dialogue confère au joueur une liberté d'action insoupçonnée, et sera la plus grande force du soft, la seconde étant la variété des situations. Un point qui est présenté au joueur juste après la scène de l'accident. En effet, quelques secondes après avoir percuté l'individu qui traversait la route, Lee se réveille dans la voiture accidentée. Là encore, le jeu prend son temps pour expliquer au joueur comment interagir avec les éléments du décor. Quelques manipulations et Lee s'extirpe de la carcasse du véhicule, se retrouvant face à un zombie en train de dévorer le policier. Dès que le zombie aperçoit Lee, il se dirige vers lui aveuglément. Le joueur entre alors dans une phase d'urgence, tandis que le monstre se rapproche. Il faut vite trouver un moyen de s'en sortir, via les objets qui traînent près de Lee. La difficulté n'est pas du tout au rendez-vous, mais ces deux éléments, à savoir le système de dialogue présenté dans la voiture, et les situations d'urgence, vont se mêler tout au long de l'aventure pour faire de celle-ci une épopée inoubliable et intense.

Tout au long de l'aventure, Lee sera rejoint par une pléthore de personnages, non jouables, aux caractères variés. Tout comme dans le comics, le jeu se concentre sur le parcours d'un groupe formé autour de Lee. Le premier de ces personnages additionnels est Clementine, une fillette orpheline. Et je vous le dis tout de suite, Clementine est un personnage exceptionnel, car totalement humain. Les développeurs de TellTale réussissent là où une grande partie de la concurrence échoue, en proposant un personnage d'enfant qui n'est pas insupportable. Mieux, il se tisse très rapidement un lien ténu entre Clementine et le joueur, représenté par Lee. L'écriture de ce personnage transpire la sincérité. La scène de sa rencontre est d'ailleurs très bien rédigée. Une fois le tout premier zombie vaincu, juste après l'accident de voiture, le joueur aperçoit la silhouette d'un personnage qui l'observe, au loin. Mais quelques instants plus tard, cette silhouette s'avère être celle d'une jeune fille amicale. Déjà, par cette narration, le joueur passe de l'inquiétude au soulagement, ce qui permet d'établir un lien de bonté envers Clementine. Protéger l'enfant devient alors un véritable leitmotiv, supporté par le fait que jamais la jeune fille ne sera un poids. Maline, débrouillarde et courageuse, Clementine devient rapidement un partenaire, qui nous aide à progresser et qu'il faut protéger comme elle nous protège. Ce duo sera aux centre de l'intrigue générale, et se verra bientôt confronté à tout un groupe de personnages hétéroclites.


Ce vaste éventails de protagonistes secondaires permet aux développeurs de proposer des scènes variées et des intrigues renouvelées. Il est parfois difficile de cerner les caractères, un personnage peut s'avérer être un allié précieux, tout comme un traître égoïste. Généralement, le joueur dispose de temps afin d'assimiler les nouveaux venus, via des scènes de calme, de dialogue ou d'énigmes. Ces précieux instants sont l'occasion pour discuter, aborder leur histoire personnelle et tisser des liens. Evidemment, le joueur pourrait être tenté de faire en sorte de plaire à chacun de ces personnages, de manière à ce qu'ils soient dans le camp de Lee, et ainsi construire un groupe soudé prêt à affronter tous les dangers. Pour pallier à cette trop grande facilité, les développeurs ont eu la bonne idée de faire de Lee un condamné. Personne ne sait de quoi est responsable Lee, pas même le joueur, ce qui fait qu'il est difficile de communiquer avec tout un groupe, capable de se méfier d'un prisonnier. Cette pirouette scénaristique bienvenue rajoute un élément de stress pour toutes les scènes de communication, dans le sens où c'est au joueur de définir à qui faire confiance.

Ce stress est maintenu pendant toute l'aventure, même pendant les scènes d'énigmes vides de toute action. A chaque choix, le jeu n'hésite pas à indiquer ce que vos actions ont de néfaste, via des petites phrases qui apparaissent au coin de l'écran. Vous avez menti à untel, bidule se souviendra de ça, autant de sentences accusatrices qui vous renvoient en plein visage les conséquences de chacun de vos actes. Ainsi, le joueur a constamment l'impression de faire le mauvais choix. C'est une donnée qui rajoute au stress éprouvé pendant les phases les plus fortes du jeu, les phases de choix. Régulièrement, le scénario place Lee dans des situations inextricables, où il lui faut faire un choix. Choisir de sauver un personnage tout en condamnant le second, choisir quelque chose à dire, choisir de laisser vivre ou de tuer un ennemi, d'aller dans telle ou telle direction, autant de propositions qui sont de véritables tortures pour l'esprit. Bien sûr, pour ne rien enlever à la saveur de ces séquences, ces choix doivent s'effectuer en quelques secondes à peine. Si ces phases sont plus rares, c'est parce qu'il faut laisser à la narration le temps de développer les personnages, via des scènes de dialogues, d'énigmes ou de voyage. Mais même durant ces scènes-là, comme nous l'avons vu, le joueur n'est pas tranquille.

Le groupe de survivants évolue dans un monde dévasté, qui respecte à merveille l'oeuvre d'origine. Il arrive d'ailleurs de rencontrer des personnages que l'on retrouvera ensuite dans le comics, comme Glen. Lors de ces rencontres, il est de bon ton de constater que le caractère des personnages est identique à celui qu'ils adoptent dans le livre, ce qui confère au jeu un statut d'oeuvre canon, se déroulant dans le même univers que la saga originelle. Un moyen de renforcer les liens qu'éprouve le joueur envers le jeu s'il lit déjà le comics. Cette cellule de personnage représente aussi un danger pour le duo principal, car leurs réactions sont totalement imprévisibles. Malheureusement, le système de pénalisation du jeu n'est pas très frustrant, étant donné qu'à chaque mort, il est possible de recommencer la séquence immédiatement. Ce manque de challenge pourra frustrer les joueurs exigeants, mais cette orientation permet au jeu de mettre en avant l'histoire et l'immersion. Le scénario en lui-même est relativement banal: se rendre d'un point A à un point B. Cependant, c'est le traitement du voyage qui donne toute sa saveur à The Walking Dead. Le jeu ne se gêne aucunement pour s'ériger en hommage du cinéma d'horreur. Film d'assaut, de survie, thriller et enquête policière, tout y passe. La première partie du jeu ressemble énormément à un film de zombies classique, avec les phases imposées du genre: découverte du premier zombie, des premiers survivants, fuite en avant, etc... Mais ensuite, l'aventure devient plus généreuse tandis que l'histoire prend des allures de road-movie. Vers la fin de l'aventure, le groupe de héros donnera même l'assaut sur un centre prétendument infesté de bandits (même si un retournement de situation de taille les attend), avant d'enquêter sur l'identité d'un mystérieux kidnappeur. Un passage confrontera même le héros et sa troupe à une bande de cannibales sournois. Bref, en ce qui concerne la variété des situations et l'écriture de celles-ci, c'est un sans faute.


Le jeu se pose, un peu à l'image de Catherine, comme une vraie étude sociale. A la fin de chaque épisode, un tableau détaille les choix importants effectués par le joueur, et confronte ceux-ci aux choix des autres gamers de par le monde (une connexion internet est nécessaire). Cela donne une idée de comment les décisions prises par le joueur seraient perçues, s'il faisait effectivement partie d'un groupe de survivant. Du coup, une question se pose, à la fois vis-à-vis de ces statistiques, mais aussi vis-à-vis des personnages non-jouables du jeu: faut-il prendre des décisions qui nous plaisent ou bien satisfaire le groupe ? C'est plutôt bien pensé de la part de TellTale, car si certains choix importants sont rythmés par l'urgence des situations, d'autres sont plutôt axés vers la stratégie de survie. C'est alors au joueur de choisir s'il faut faire passer sa propre survie en premier, celle de Clementine, ou bien celle du groupe tout entier. Et puis, pire encore, dans le groupe, qui privilégier ? D'ailleurs, une séquence impose à Lee de rationner la nourriture. Il n'y a plus que quelques portions à distribuer, pas assez pour tout le monde. Qui nourrir ? Les hommes qui montent la garde ? Les femmes qui entretiennent le camp ? Les enfants ? Soi-même ? Chacun y répondra à sa manière.

Enfin, une bande-son très atmosphérique vient supporter ce voyage. Calme, lancinante et mélancolique, la soundtrack de The Walking Dead est une amie fidèle. Beaucoup de guitare pour cette soundtrack, orientée blues, qui distille ses notes avec une tristesse infinie. Les rythmes sont lents et les mélodies poignantes. Une majorité de cordes rythment l'aventure, dans des compositions à même de déchirer le coeur du joueur. Mêmes les thèmes joués lors de scènes pleines d'espoir ne sont jamais très guillerets. Le compositeur Jared Emerson-Johnson, dont je découvre ici le premier travail, a réussi a retranscrire à la perfection la froideur de cet univers post-apocalyptique, dont chaque journée semble être la dernière.


The Walking Dead est un grand jeu. Loin d'être une aventure explosive, le soft s'amuse à installer une ambiance terrible tout en proposant un parcours éprouvant pour le joueur. La narration, l'écriture des personnages et des scènes, ainsi que l'atmosphère mise en avant par les graphismes et la bande-son, contribuent à donner vie à une multitude de personnages aussi différents que fascinants. Lee et Clementine forment un couple inoubliable dans l'univers des jeux vidéo, tout comme leur aventure incroyable. Jusqu'au-boutiste et hypnotique, The Walking Dead est une oeuvre rare, coup de maître de la part d'un studio dont personne n'attendait un tel chef-d'oeuvre. Est-ce que le miracle sera répété pour la deuxième saison du jeu ? Réponse bientôt.

Cliquer ici pour revenir à l'index