John Dies at the End


 Réalisé par Don Coscarelli (2012)

Cet article contient des spoilers.

Si passer un coup de fil à travers un hot-dog ou être sauvé par un chien au volant d'une camionnette vous semble totalement absurde, alors John Dies at the End n'est pas fait pour vous. A l'origine, cette histoire est celle de David Wong, publiée en 2007. Ce texte ne concernera que le film, aussi il n'y aura aucune comparaison entre les deux œuvres.

Suite au succès du roman, une nouvelle édition est rapidement produite, agrémentée de quelques suppléments, tandis qu'une suite intitulée This Book is Full of Spiders (Seriously Dude, don't touch it) sort en 2012. Rapidement, l'univers créé par Wong gagne les oreilles du génial Don Coscarelli, à qui l'on doit la saga des Phantasm mais aussi l'improbable Bubba Ho-Tep. C'est ainsi qu'en 2012, soit cinq ans après la parution du roman, John Dies at the End investit les écrans de cinéma américains. Il faudra cependant attendre 2014 pour que le film soit édité en DVD en France, sans passer par la case grand écran. Et quand on découvre le scénario qui rythme les aventures de ce fameux John, on peut comprendre la réticence des distributeurs. Le film raconte l'histoire de David Wong, un personnage ne se privant pas de récupérer le nom de l'auteur qui lui a donné vie, et de sa découverte de la sauce Soja. Sauce Soja est le nom donné, faute de mieux, à une étrange substance ayant la capacité d'altérer l'esprit de celui qui l'ingurgite. En effet, une simple dose de cette saleté permet d'accéder à un niveau supérieur de perception, et de voir certaines choses qui ne devraient pas exister. Univers parallèles, créatures multidimensionnelles, paradoxes temporels et autres joyeusetés peuvent alors envahir le quotidien. Voilà pour la base, car il serait impossible de raconter John Dies at the End sans finir dans un hôpital psychiatrique. Disons seulement que ça parle de la fin du monde. Ou des mondes.


Pour nous faire plonger au mieux dans l'univers éthéré de David, Don Coscarelli va utiliser avec intelligence tous les outils mis à disposition par le média, et créer une atmosphère gentiment décalée, voire complètement onirique. Le rythme ne se pose jamais une seule seconde, et ce dès l'introduction qui se situe à la limite de l'agression. Montage survolté, débit de parole hallucinant, énumération de concepts aussi improbables que justes, c'est une avalanche d'informations qui submerge le spectateur alors que le film ne vient de commencer que depuis vingt secondes. Autant que ce soit clair, l'heure et demie qui suit sera du même acabit. Il n'y a pas vraiment de véritables scènes d'action dans John Dies at the End, mais le rythme se construit via ses dialogues, l'invraisemblance des événements, ainsi que visuellement. En ce qui concerne les dialogues, ceux-ci filent à deux cent à l'heure, que ce soit à travers la voix off, qui permet de partager les pensées de David, ou des dialogues entre les personnages, remplis de sous-entendus. Concernant l'invraisemblance des événements, c'est un pléonasme de dire que le scénariste s'est lâché. Il est clairement impossible de deviner ce qu'il va se passer dans le film. Deux personnages discutent et bam !, l'un d'eux explose en serpents. Un congélateur situé en arrière plan s'ouvre soudain et laisse sortir un monstre formé de viande congelée (avec une tête en volaille, bien évidemment). Ou lors d'un coup de feu, voilà qu'un voyage dans le temps permet de modifier les propriétés de la balle tirée et d'éviter la mort. Ça ne s'arrête jamais. Enfin, le rythme se construit visuellement, à défaut de meilleur terme. C'est-à-dire que le réalisateur propose à l'écran des choses jamais vues ailleurs. Non, je suis certain que vous n'avez jamais vu une moustache s'arracher du visage sur lequel elle était, avant de s'envoler telle un oiseau en liberté.

Mais le pire dans tout ça, c'est que ça fonctionne. L'écriture est tellement cohérente, que le spectateur croit ce qu'il voit. Car tout ce qui est introduit dans le film, possède sa propre utilité narrative. Dans l'introduction, je citais le chien au volant d'une camionnette, qui sauve la vie de l'un des personnages. Et bien ce chien, Bark Lee, aura une utilité scénaristique, tout comme ses actes feront l'office d'une explication logique (logique dans l'univers du film, bien sûr). D'ailleurs, ce chien appartient à un personnage, Amy, qui ne possède pas de main. Le film aborde alors la théorie du membre fantôme, une sensation qui affecte les personnes démembrées, qui ont toujours l'impression de ressentir la partie de leur corps disparue. Ce n'est qu'une heure plus tard que le métrage mettra cet élément à profit, lorsque les héros auront besoin de ce membre fantôme pour saisir et tourner la poignée d'une porte fantôme. C'est quand on se rend compte que toutes les bizarreries étalées depuis de début du film ont un sens, que John Dies at the End révèle l'intelligence de sa construction.


Il serait d'ailleurs temps de s'attarder sur ce fameux John. Bien que David soit le personnage que le spectateur va suivre du début à la fin du film, c'est son ami John qui se voit les honneurs de figurer sur le titre du film. C'est lui qui va initier David aux secrets de la sauce Soja, après avoir été lui-même converti par un étrange individu, croisé lors d'un concert donné par John et son groupe. Le titre du film, d'ailleurs, trouve un drôle d'écho au sein du film. John meurt bel et bien au cours de l'histoire, alors pourquoi l'annoncer tel quel de but en blanc ? Pour plusieurs raisons en fait. Le film va s'amuser à briser la frontière qui sépare la réalité à l'univers fictif du métrage. Explications. Comme déjà évoqué précédemment, la sauce Soja permet de percevoir des univers parallèles mais aussi le temps. Ce concept est illustré dans le film via la séquence de la fabrication d'une balle de revolver. De son côté, le spectateur est invité à suivre le personnage de David, à partager ses actions et ses pensées, ce qui s'illustre bien entendu dans le film par la caméra, toujours concentrée sur David, mais aussi via la présence de la voix off, qui fait participer le spectateur au cheminement de ses pensées. Ainsi, de par son statut, c'est comme si le spectateur lui-même avait ingéré la sauce, et deviendrait quasi omnipotent. Le prophétique "John dies at the end" serait comme une fenêtre ouverte sur l'avenir. L'autre raison de ce titre, selon moi, est qu'en plus d'être vrai, il est totalement faux. John meurt bel et bien, mais revient aussi vite. D'abord en téléphonant à travers le temps, puis bel et bien physiquement. Ce jeu entre la réalité que perçoit le spectateur et l'intrigue du film se retrouve aussi dans les quelques citations et références qui hantent le métrage (citons par exemple un coup de coude bien appuyé et bien senti à Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick), mais aussi dans les noms des personnages eux-mêmes. David Wong tire son nom de l'auteur du livre, tandis que Bark Lee, le chien, s'appelle vraiment Bark Lee.

Mais John Dies at the End, c'est aussi et surtout un cri d'amour envers tout un pan de la culture cinématographique, qui use et abuse des codes de la série B pour mieux les détourner et les renouveler. C'est un film qui rigole de ces codes, mais qui jamais ne se moque. Le film cite avec un bonheur non dissimulé des œuvres comme Goldfinger (avec ce cliché ambulant du désamorçage de bombe in extremis, cliché qui sera bien évidemment bousculé par la meilleure intervention canine de tous les temps), évoque Star Trek au détour d'un dialogue ou place carrément un bon gros "Mall of the Dead" au milieu de l'écran. La réalité rejoint d'ailleurs encore une fois la fiction, car ce lieu abandonné existe bel et bien. L'amour de la série B se ressent aussi dans la mise en scène et les effets spéciaux. Don Coscarelli ne veut rien révolutionner, il veut proposer quelque chose d'efficace, qui distille un plaisir immédiat, sans trop en faire. Sa mise en scène verse dans le classicisme, elle ne se veut jamais trop appuyée ou démonstrative. Le réalisateur n'insiste pas sur l'absurdité des situations qui habillent le récit, il se contente de les filmer de manière efficace, tout en travaillant la composition de ses plans afin de les rendre les plus évidents possible. Les effets spéciaux sont plutôt de la vieille école, même si l'intrusion du numérique était quasi-inévitable. En résultent quelques rendus à la limite du correct, mais aussi de jolis plans superbement composés (comme la séquence montrant David allongé sur le sol, alors que ce dernier se désagrège et dévoile l'univers derrière lui). Quelques effets plutôt violents surgissent ici et là.


Il y a du Philip K. Dick dans John Dies at the End. Beaucoup. Le film instaure une atmosphère paranoïaque pesante, alors que les thèmes brassés coexistent et se répondent continuellement. L'indicible bouscule la raison, tandis que les dialogues sonnent souvent juste et parviennent à troubler. Toute une discussion en particulier parle des rêves, et de la manière dont ceux-ci s'articulent autour de la réalité, une notion qui rejoint en un sens parfaitement la nature même du propos du film. Pour donner corps à l'ambiance si particulière qui enveloppe le métrage, c'est au compositeur Brian Tyler que Don Coscarelli a fait appel. L'artiste signe ici un travail à l'image du film, privilégiant les atmosphères décalées dont le résultat n'est pas sans rappeler Donnie Darko. Certaines pistes empruntent une voie plus mystique, chœurs à l'appui, voire aux relents de western. La plupart des morceaux composés s'articulent autour d'un motif sonore plutôt pesant auquel viennent se greffer d'autres instruments aux tonalités déstructurées. Une clochette par ci, un bruitage par là, une mélodie qui naît et meurt quelques secondes après, des percussions désorganisées, autant d'éléments qui confortent l'atmosphère paranoïaque qui enveloppe le film. A noter que les première et dernière pistes de la bande-son possèdent les mêmes titres mais inversés, la première s'appelant comme le film, tandis que la dernière s'intitule "Dne eht ta seid nhoj". Certainement une réminiscence liée à Korrok, le grand méchant du film.

Enfin, il faut savoir que le film est servi par un casting impliqué et très efficace. Les petits nouveaux côtoient de grands noms, et c'est avec un plaisir non dissimulé que le spectateur retrouve des acteurs tels que Paul Giamatti (hilarant en fantôme noir), Clancy Brown, dans le rôle d'un magicien médiatisé ou Doug Jones, plutôt effrayant ! Les acteurs principaux, Chase Williamson et Rob Mayes, démontrent avec une aisance particulière leur talent et leur implication sans limite dans ce projet qui semble leur tenir à cœur. En élargissant la sélection, tous les acteurs semblent impliqués, tant les seconds rôles restent marquants malgré leur temps de présence limité à l'écran. Signalons enfin la présence du groupe The Inevitable Backlash, dissimulé sous les traits du groupe de John, le fantasmagorique Three Arms Sally (et son logo... efficace).

John Dies at the End n'est pas une simple série B, c'est un film qui porte en lui tout l'amour d'un genre en pleine désuétude. Privilégiant un plaisir et un fun immédiats, le film n'oublie pas de distiller régulièrement d'incroyables séquences touchées par la grâce, qu'il s'agisse de la justesse d'un dialogue, du génie d'une trouvaille scénaristique ou d'un retournement de situation absolument improbable ailleurs. Une équipe investie donne vie à cette aventure aux confins de la réalité, à travers une direction artistique attachée aux détails, ou bien à des acteurs charismatiques, sans oublier un chien qui mérite clairement le statut de meilleur ami de l'Homme. Pour toutes ces raisons, et celles qui restent à découvrir, John Dies at the End nous offre le plus imprévisible des voyages vers la fin du monde. Alors quitte à y voguer, autant le faire sur un océan de sauce Soja.

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